Hors des sentiers battus : la position de Lundberg sur le concept d’instabilité

      L’idée selon laquelle l’économie peut fluctuer même si les marchés sont à l’équilibre (tout ce qui est produit est vendu) est présente dans la plupart des premiers modèles macro-dynamiques. Cela s’observe dans les modèles développés par Tinbergen (1934), Kalecki (1935) ou Samuelson (1939a,b), où la totalité de la production est vendue à tout instant. Aussi, les mouvements de l’économie résultent de l’existence de divers retards en raison desquels l’économie se trouve en dehors de son état stationnaire.

      L’économiste suédois Erik Lundberg aborde l’analyse dynamique sous un autre angle dans Studies in the Theory of Economic Expansion (1937). La question qu’il pose est la suivante : Comment l’économie se comporterait-elle si elle s’écartait de son équilibre de marché ? À une époque où cette approche est encore embryonnaire, Lundberg réalise une avancée remarquable.

 

Lundberg illustre dans cette figure (1937: 183) la condition nécessaire pour « l’équilibre dynamique » : le développement des variables économiques doit être exponentiel plutôt que linéaire

     

      Poursuivant cet objectif, Lundberg examine les conditions pour lesquelles une économie peut croître de manière régulière. En premier lieu, il montre sur la base d’un petit modèle (Lundberg, 1937: 185, reproduit ci-après) que le développement de l’investissement et du capital est nécessairement exponentiel dans ce cas, tandis qu’un développement linéaire de l’économie conduirait à des déséquilibres.

      Considérons un modèle où une fraction \Lambda du revenu est épargnée à chaque instant. Supposons que \Lambda soit égal à 0,2, et que la production Y soit égale à 100 unités. Si 80 unités sont consommées, pour que l’équilibre soit atteint, 20 unités doivent être investies. Supposons maintenant qu’il existe une relation fixe entre l’investissement et les variations de la production telle que I=\mu \dot Y avec par exemple \mu=2. En supposant qu’il n’y a pas de dépréciation du stock de capital, nous avons K=\mu Y. Avec la condition que I=S à chaque instant, nous obtenons l’équation différentielle \dot Y= \frac{\Lambda}{\mu} Y qui représente la dynamique de l’économie, et la solution Y=ce^{\frac{\Lambda}{\mu}t}, où c est une constante déterminée par les conditions initiales de l’économie. Avec les valeurs \Lambda=0,2 et \mu=2, cela signifie que l’économie croîtra à un taux de \frac{\Lambda}{\mu}=0,10, correspondant à un « équilibre dynamique. »

      Mais Lundberg doute de la possibilité d’une telle expansion: « La production, la consommation, le revenu, l’épargne et l’investissement augmentent tous à certains taux, et on peut se demander si cette croissance, sorte d’équilibre dynamique, se poursuivra, ou si des divergences apparaîtront automatiquement au sein du système lui-même, avec pour conséquence l’arrêt de ce processus » (Lundberg, 1937: 183). Pour lui, le problème vient de l’égalité supposée entre l’investissement et l’épargne : « Cette condition d’équilibre doit être invalidée afin d’expliquer ou d’analyser un développement. » L’investissement doit être expliqué de manière « causale » et non simplement s’ajuster à l’épargne. Cela conduit Lundberg à suggérer que « Si l’on tient compte des facteurs déterminants de l’investissement, la solution linéaire provisoire pourrait donner une image plus précise des tendances inhérentes du système vers les divergences que la solution d’équilibre donnant des courbes exponentielles » (Lundberg, 1937: 186).

      Que se passerait-t-il alors si l’économie était hors de ce sentier de croissance équilibrée ? Que se passerait-t-il par exemple si ce qui est produit n’est pas vendu à tout instant ? Est-il probable que l’économie revienne sur sa trajectoire initiale ? Devons-nous plutôt nous attendre à voir les déséquilibres s’amplifier avec le temps ? Voici les questions soulevées par Lundberg et la signification des différentes « séquences » qu’il tente de construire dans son livre. A défaut de posséder les compétences mathématiques de ses collègues économistes de la Société d’Econométrie, Lundberg échoue à produire un modèle mathématique d’un nouveau type. Cependant, en accordant un rôle central aux déséquilibres du marché, il a sans aucun doute influencé la future direction de la recherche qui porta de plus en plus d’attention à ces problèmes à partir des années 1940.

References:

Kalecki, M. 1935. “A Macrodynamic Theory of Business Cycles.” Econometrica 3(3):327–44. https://www.jstor.org/stable/1905325

Lundberg, Erik. 1937. “Studies on the theory of economic expansion.” Stockholm: Kungl. Boktryckeriet. P. A. Norstedt & Söner

Samuelson, Paul A. 1939a. “A Synthesis of the Principle of Acceleration and the Multiplier.” Journal of Political Economy 47(6):786–97. https://www.jstor.org/stable/1824312 

Samuelson, Paul A. 1939b. “Interactions between the Multiplier Analysis and the Principle of Acceleration.” The Review of Economics and Statistics 21(2):75–78. https://www.jstor.org/stable/1927758

Tinbergen, Jan. 1934. “Der Einfluß Der Kaufkraftregulierung Auf Den Konjunkturverlauf.” Zeitschrift Für Nationalökonomie / Journal of Economics 5(3):289–319. https://www.jstor.org/stable/41792889